Nous connaissons tous des collègues ou des collaborateurs qui, parce qu’ils possèdent des compétences ou un savoir-faire technique, ont une assurance presque gênante. Mais savez-vous qu’il existe aussi un phénomène identique avec des personnes peu compétentes et qui demeurent aussi sûr d’elles malgré tout ?
En neuropsychologie ou psychologie cognitive, on parle de l’effet Dunning-Kruger et cela peut avoir un réel impact sur l’entreprise.
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Qu’est-ce que la théorie Dunning-Kruger ?
Savoir reconnaître le seuil de son incompétence
L’analyse cognitive Dunning-Kruger est un principe de neurosciences énoncé par deux psychologues américains qui apparaît pour la première fois dans le Journal of Personality and Social Psychology (1999).
Ce principe heuristique édicte en somme que certains individus souffrent de troubles cognitifs, à savoir qu’ils sont incapables de reconnaître objectivement leur incompétence.
Tout commence par un fait divers qui a lieu à Pittsburgh (États-Unis) en 1995. Un homme, McArthur Weeler, décide de cambrioler deux banques, mais il se fait rapidement arrêter grâce aux caméras de surveillance.
Rappelons que l’homme en question avait commis son méfait le visage nu, sans cagoule, mais entièrement recouvert de jus de citron. Il pensait que le citron l’aiderait à ne pas se faire repérer par les caméras de surveillance.
Un autre exemple est le suivant : un homme, programmateur dans une entreprise, est persuadé d’être l’un des meilleurs éléments de la société alors que son travail est brouillon et incompréhensible pour ses collègues.
Or, le jour de son entretien annuel d’évaluation, il reçoit des critiques négatives de son manager qui lui explique que son travail n’est pas à la hauteur des attentes. L’homme ne comprend pas et s’emporte.
Il estime alors que son entretien d’évaluation est complètement faussé. Le trouble cognitif est ici évident.
Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ce trait de personnalité — on parle davantage de biais cognitif et de dissonance cognitive — n’est pas un signe de crétinerie.
D’après l’approche cognitive Dunning-Kruger, ce n’est pas uniquement les moins compétents qui éprouvent des difficultés à reconnaître leur incompétence, mais ils sont certains d’être compétents pour la prise de décision (effet de halo).
Pour résumer cette étude de cognition, ils surestiment leurs compétences tandis que les personnes les plus compétentes et les plus qualifiées (souvent les plus intellectuelles, pourrait-on dire) ont une tendance à sous-estimer leur niveau de compétence. Pour simplifier ce schéma cognitif : dans l’imagerie populaire, les mauvais se croient bons quand les bons se jugent mauvais.
Que penser de l’effet Dunning-Kruger ?
Si l’on reprend l’exemple avec le cambrioleur de banques, selon le processus cognitif et neuronal de Dunning-Kruger, avoir trop confiance en soi amène à faire des choses irrationnelles (comme le fait de braquer une banque sans cagoule).
Or, le fonctionnement cognitif habituel selon la neuroscience est le suivant : l’intelligence et les connaissances cérébrales ou intellectuelles nécessaires pour effectuer une tâche sont souvent les mêmes pour savoir si l’on est à la hauteur de ce que l’on demande.
Dans le cadre de l’entreprise, le problème vient peut-être de l’organisation ou du style de management qui laisse alors le salarié en question dans son ignorance.
Comment détecter un syndrome Dunning-Kruger ?
En suivant le principe Dunning-Kruger, la croyance veut que moins une personne est compétente, moins elle est à même de savoir qu’elle est ignorante en la matière.
A contrario, une personne très compétente possédera une meilleure perception de l’étendue de ses connaissances et sera plus consciente du fait qu’elle est loin de tout maitriser.
Pour détecter le syndrome Dunning-Kruger, il est essentiel de se tourner vers le manager ou la direction en entreprise.
Comment reconnaître un collaborateur souffrant du syndrome Dunning-Kruger, appelé aussi individu surconfiant ?
- Il ne possède pas les compétences mentales et cognitives pour distinguer les personnes douées et les autres ;
- Il est inconscient de son niveau de compétences réel (distorsion de la réalité) : il a tendance à se surestimer par rapport à ce qu’il est réellement (non par rapport à autrui) ;
- Il a des difficultés à se remettre en question et accepte difficilement (pour ne pas dire qu’il a une aversion) la critique (positive ou négative) et les jugements (croyances et pensées limitantes) ;
- Il peine à reconnaître les compétences positives (déficience cognitive) chez celles et ceux qui les possèdent vraiment ;
Il est incapable d’améliorer ses compétences et de reconnaître ses lacunes (en lien avec les limites cognitives).
Les conséquences pour l’entreprise et les équipes
Percevoir son niveau de compétences et la limite de ses capacités cognitives a un impact sur les relations entre collaborateurs, avec sa hiérarchie et la productivité.
En entreprise, les personnes qui se surestiment plus qu’elles ne le sont en réalité ont des effets négatifs, voire néfastes pour la société :
- Recrutement d’un candidat qui semble confiant, mais qui s’avère peu compétent ;
- Augmentation de salaire ou promotion à une personne qui n’est pas à la hauteur, ce qui entraine un sentiment d’injustice ;
- Dégradation de l’ambiance de travail au sein des équipes ;
- Conflits et tensions pouvant générer du stress et impacter négativement sur la productivité (liens rationnels et émotionnels qui se heurtent) ;
- Impact cognitif négatif sur l’ensemble du groupe, sur les projets et la réalisation des objectifs ;
- Retombées éventuelles préjudiciables sur les relations entre clients et prestataires (mécanisme cognitif).
Nous nous accordons, en première impression, à confondre confiance en soi et compétence.
Et, en règle générale, une personne qui a l’air sûre d’elle-même est souvent perçue comme compétente, c’est pourquoi on la retrouve souvent à un poste clé en entreprise.
Un manager aura plus facilement tendance à se laisser influencer et à céder sa confiance à quelqu’un d’ignorant, mais qui a de l’aplomb, ce qui va faciliter son ascension hiérarchique.
A contrario, une personne plus timorée et plus compétente (maitrise des apprentissages) se verra plus aisément reléguée au second plan.
Comment adapter son management et résoudre le problème ?
En psychologie comportementale, la question de l’organisation et du management est au cœur de la solution face au complexe Dunning-Kruger.
Le ou la responsable doit être en mesure de détecter un trop-plein de confiance chez un de ses collaborateurs pour pallier aux éventuelles conséquences négatives sur l’entreprise, sur l’équipe et sur la productivité.
Le manager doit aussi apprendre à gérer ce « phénomène » en prévenant les impacts mentaux négatifs et se faisant le garant du contrôle comportemental des collaborateurs.
Comment ? Grâce au développement cognitif lié aux softs skills que sont l’intelligence émotionnelle, l’intelligence relationnelle, mais aussi les capacités de communication, les aptitudes cognitives interpersonnelles et le caractère du candidat.
Il ne faut pas hésiter à mettre le syndrome Dunning-Kruger face à ses propres failles.
Montrez et démontrez au collaborateur concerné qu’il se trompe ou qu’il fait une mauvaise route dans son raisonnement en vous reposant sur des faits logiques, des exemples concrets et des données chiffrées.
Montrez-lui ensuite qu’une autre idée peut être meilleure. L’objectif mental est de mettre le collaborateur au pied du mur pour qu’il apprenne à se rendre compte de ses limites, pour qu’il comprenne également qu’il est toujours possible de faire mieux.
L’« éducation » des employés et collaborateurs est une clé essentielle pour résoudre ce problème avec le syndrome Dunning-Kruger.
En tant que candidat, il faut enfin apprendre à ne pas surestimer sans se rabaisser pour autant. Il est primordial de toujours élargir ses compétences et ses connaissances en lisant des livres sur des sujets inconnus (recherche cognitive), en suivant des conférences (stimulation et mémoire de travail), en discutant avec des personnes maitrisant leur sujet (cognition sociale), etc.
L’important, en entretien, est alors ne pas se survendre, mais d’être conscient de ses failles et de sentir prêt à apprendre.
Quelques solutions pratiques à mettre en place :
- Faire des allers et retours réguliers à ses équipes et aux collaborateurs (approches cognitives et feedbacks) ;
- Les aider à identifier leurs lacunes (psychologie positive et rationalité) en s’appuyant sur des exemples précis et concrets : ils seront face à leurs déficits et auront envie de les corriger (processus mental intégrant une réadaptation) ;
- Démontrer qu’il existe d’autres solutions plus adaptées, d’autres schémas plus spécifiques ;
- Demander de changer un point en particulier (apprentissage cognitif) et encourager les progrès (modéliser un nouveau schéma mental) ;
- Agir par le biais des formations (stimuli comportementaux) ou des accompagnements sur les compétences relationnelles (thérapie).
Le syndrome Dunning-Kruger peut rapidement avoir des effets pervers sur l’entreprise et surtout sur les collaborateurs, dégradant autant leur productivité que leur motivation et leur engagement. En prêtant attention au savoir-faire et au savoir-être de chacun, on peut lutter contre cette tendance comportementale de l’esprit humain.